François de LEUSSE par Jean Ruyssen

Bonjour, je suis Jean Ruyssen, second du Lieutenant-Colonel Bouvet lors du débarquement de Provence. Laissez-moi vous parler de mon camarade François de Leusse.
Presqu’à ses débuts, François de LEUSSE va occuper au Cabinet Militaire du Maréchal Lyautey, Résidant Général de France au Maroc, un poste qui sera une prestigieuse école, dont il restera marqué. A la mort du Maréchal, en 1934, c’est la Légion Étrangère.
Il appartient à un Bataillon des confins Algéro-marocains ; j’appartiens à une autre formation de la Légion ; et, au printemps 1935, le hasard m’appelle à le remplacer au Sahara, où son détachement a amorcé les travaux de la grande piste de rocade Sud de Tabelbala à Tindouf. Mon détachement va continuer ce que le sien à commencé et c’est le départ de notre amitié qui ne devait plus cesser.
1939-40, François est sur le front de France. Blessé et fait prisonnier, il s’évade alors que l’armistice est intervenu. Son choix est vite fait ; pour lui, ce sera celui des Forces Françaises libres, malgré les problèmes familiaux que cela pose. Comme il s’est évadé du camp de prisonniers, le Capitaine de Leusse s’évade de France et, légionnaire, il rejoint la 13è Demi-Brigade de Légion Etrangère, celle de Narwick. Cette Unité fait partie de la Division Leclerc et François va participer jusqu’en 1943 aux campagnes de Lybie, de Tripolitaine et de Tunisie.
Plus tard, pendant l’été 1944, il apprend la préparation qui s’effectue dans le plus grand secret, du débarquement de Provence, et il décide qu’il en sera. Il parvient à se faire détacher, comme interprète de l’Officier britannique de liaison, auprès du Groupe de Commandos d’Afrique du Lieutenant-Colonel Bouvet, dont je suis alors le second. Le 14 août 1944, quelques heures avant de prendre place sur les bateaux, qui vont en pleine nuit nous déposer entre le Cap Nègre et le Canadel, nous recevons ainsi l’Officier britannique accompagné de son interprète qui, pour des raisons de sécurité, se présente comme Capitaine de Montgraham, et qui n’est autre que François de Leusse. Son pseudonyme ne peut tenir pour moi, et nous nous retrouvons avec autant de surprise que de joie. De toutes façons, quelque soit le patronyme retenu, il s’agira très vite pour nous de "Fafa", ce diminutif que nous allons adopter par affection fraternelle.
François connait à fond la zone de notre débarquement et il n’est pas homme à se contenter d’être l’interprète de l’Officier de liaison allié, qui n’en a d’ailleurs pas besoin. Il va alors guider notre 3è commando aux ordres du Capitaine Bonnard, dans une mission qui doit le mener à La Môle à travers le massif des Maures. Difficultés ? Bien sûr ; mais l’action est menée à bien. Après quoi François rejoint notre P.C et attend avec impatience, tout en participant à nos combats, le dégagement de la route vers La Londe et Toulon, qui lui permettra enfin d’aller revoir les siens.
Ne considérant pas son rôle comme terminé, il obtient son affectation définitive au Groupe de Commandos d’Afrique, et il nous rejoint à nouveau, pour prendre début novembre 1944 le commandement de ce même 3è commando qu’il a guidé vers La Môle. Presqu’aussitôt après, c’est l’opération sur Belfort à laquelle il prend part à la tête de son Unité. Le 22 Novembre, il reçoit la mission de pointe dans une action menée par le Commandant Ducournau pour ouvrir la route de Mulhouse que l’adversaire tient solidement aux sorties de Belfort.
C’est une effroyable journée au cours de laquelle le Capitaine de Leusse donne toute sa mesure au Martinet et à l’étang des Forges. Très durement contre-attaqué par des troupes d’élite, il voit ses hommes tomber, tous ses Officiers tués ou blessés les uns après les autres. Malgré un espoir très faible, il s’accroche et, repliant les restes de son Unité dans les marécages glacés, il parvient à tenir jusqu’à l’arrivée des Chars de la 5è Division Blindée, qui permettent enfin de briser les contre-attaques.
Après, c’est le bonheur de la libération de l’Alsace, son pays, puis l’entrée en Allemagne, et, en mai 1945, le cauchemar est terminé. Enfin promu Commandant, François sentira très vite qu’il ne peut plus se faire à une vie de garnison et, en 1946, il quittera l’Armée pour s’installer dans le Var.
Ces camarades et amis admiraient en lui la classe, l’aisance, le panache et l’indépendance d’esprit, quelquefois même la désinvolture, héritée de la lignée.
Ils étaient sensibles à l’ensemble de sa façon d’être : ses qualités d’homme d’action, sa manière directe, souvent primesautière, son sens inné de l’humain qui le rendait très proche des simples et des humbles, sa bonté et sa générosité inépuisables.
Mais, au delà de tout cela, François a été pour nous tous un roc inébranlable d’amitié tonifiante, avec sa joie contagieuse de vivre, sa façon pittoresque d’envisager les choses et quelquefois sa truculence. Voilà tous les éléments se combinant pour faire de lui une personnalité exceptionnelle et attachante que nous n’oublierons pas.

