LDE carnet de route p.9 1917
Elle va s’accentuer au point de rendre la respiration impossible. À chaque inspiration une pointe de fer stoppe mon souffle. Je me sens lentement refroidir. La zone glacée remonte de mes pieds vers le bassin. J’ai nettement l’impression que la vie animale se retire progressivement.
Péniblement, dans la nuit, j’ai pu appeler. Un poilu s’est réveillé ; ému de mon état, me prend dans ses bras et me dépose dans une chambre chaude occupée par des sous-officiers.
Un infirmier alerté me pose des ventouses. Soulagé, je peux passer la nuit sans trop souffrir.
Au matin je suis évacué par le major. À 4 heures de l’après-midi, après une randonnée sans ménagements, une ambulance me dépose à l’hôpital mixte de Saint-Nicolas-de-Port.
Lundi 29 janvier. ━ J’ai un point pleurétique gauche, avec 40° de fièvre.
Sans gravité. Grâce aux soins dévoués d’une sœur mon état s’améliore rapidement. Sœur Bernard, comme un ange de salut, passe d’un lit à l’autre, apportant soins et réconforts. C’est une personne chez qui la nature brillante émerge par moment de l’enveloppe d’humilité qui la drape.
Ici, ce sont tous des malades des poumons. Les jours se passent en bavardages, d’un lit à l’autre, au son d’un phonographe installé par la sœur.
Le 9 février, je quitte l’hôpital à peu près guéri.
Une permission de 7 jours complétera la guérison. Il faut de la place car la clientèle est nombreuse en cette saison.
Vendredi 9 février. ━ Après Épinal, je suis stoppé à la gare de triage de Seveux.
Dirigé sur Dijon, puis Nevers, je passe par Tours et le dimanche 11 février au matin je suis à Bordeaux.
À 2 heures de l’après-midi, je saute sur les quais de la gare de La Réole, à contre-voie ; j’use d’un stratagème qui permet de gagner deux jours de plus. Un à l’arrivée, l’autre au départ. Tous les permissionnaires l’utilisent et voici la technique :
La permission compte du jour de l’arrivée, c’est le tampon de la gare qui en fixe le début. L’astuce consiste à sortir de la gare sans contrôle et à revenir le lendemain à l’heure du même train s’infiltrer parmi les permissionnaires du jour. Ainsi la permission est tamponnée avec un jour de retard. Un jour de gagné.
Au départ, manège inverse. On fait tamponner sa permission le jour officiel de départ et on ne prend le train que le lendemain.
Ces escalades de barrières et ces marches en Sioux à travers la gare de marchandises sont facilitées par les gens de la rue. Le gendarme est l’ennemi du permissionnaire.
Toutes ces permissions sont trop vite passées. L’immense tendresse des miens, l’affection des amis plus jeunes, le collège où j’ai laissé mes camarades, le cercle d’études où les réunions se succèdent sous l’admirable autorité de notre maître l’abbé Baquey, les conférences suivies par des blessés me reprennent et m’entraînent dans ce mouvement, cette vie animée de l’esprit et du cœur, comme si rien ne s’était passé depuis mon départ.
Mercredi 21 février. ━ Pour la troisième fois depuis mon départ au front, je quitte La Réole à 4 h. 30 pour prendre le train de permissionnaires qui part de Bordeaux à 7 h. 30.
Voyage en compagnie de deux soldats de La Réole ; après Nevers et Chagny je débarque à Is-sur-Tille, gare de triage. On tamponne les permissions et me dirige
sur Neufchâteau. Encaserné à la caserne Rebeval le lendemain, je suis équipé avec du neuf. Quartier libre toute la journée. Ville sans intérêt.
Samedi 24 février. ━ Départ le matin pour Nancy.
Le train passe à Toul, Frouard, gare souvent bombardée par du 380 mm, enfin après Nancy, Lunéville tête de ligne.
À la sortie de la gare, par détachements, on nous conduit hors de la localité, pour rejoindre individuellement nos unités. Après une heure de marche, je rejoins mon D. D. encore à Deuxville.
Le bureau du D. D. m’affecte à la 12e Compagnie où sont groupés tous les jeunes de la classe 17, mes camarades originaires du 107e R. I. : Coutant, de Blaye ; Nicolas, Minvielle, Rétier, de Bordeaux ; Chassagne, de Sainte-Foy-la-Grande ; et un groupe de la même classe originaire du dépôt du 128e R. I. : Ilette, Hamelin, Harquey, La Fuste.