LDE carnet de route p.8 1917
Et le soliste enchaîne :
Sur le talus renverse la bergère,
Sur l’ennemi renverse les remparts,
Dans les boyaux fous-toi la gueule par terre,
Mais ne vas pas renverser le pinard.
Les soirées se passent toutes ainsi, jusquà 10 heures. Le Café se vide alors rapidement et chacun regagne en titubant un peu, son cantonnement.
24 janvier. ━ Nous quittons Maron avec regrets.
Par route la D. I. se dirige vers les lignes de Lorraine. Il a été question d’envoyer le régiment en Algérie, pour étouffer la révolte arabe dans le Djebel Aurès. Ce sont les 72e R. I., 91e R. I. et le 1er Bataillon d’Afrique qui ont été charges de cette mission.
Une Division du 17e Corps d’Armée nous remplace à Maron, à la grande déception des habitants. Depuis la bataille de Morhange on aime pas ici les soldats du Midi.
Le froid est subitement arrivé avec sa bise sèche. 14 km. jusqu’à Richard-Mesnil. À l’étape, la troupe envahit les bistrots, seuls lieux confortablement chauffés.
Un aéro boche a survolé et surveille notre déplacement.
Jeudi 25 janvier. ━ Toute la nuit il a neigé à gros flocons et la campagne a entièrement disparu sous un manteau blanc.
À 6 heures, les Compagnies sortent du village par un froid extraordinaire. Le sol est ferme comme du ciment, et un vent glacial d’est nous transforme en glaçons articulés. Si nous n’avancions pas sous le poids pénible de notre chargement nous serions raidis par le froid.
La Division en marche déroule son long ruban sombre sur d’immenses plaines blanches. Les routes ont disparu et le regard troublé est saisi par le vertige de l’espace. Le ciel est gris et bas. Lourdement chargés, la tête emmaillotée dans le bonnet de police dont les ailes sont rabattues sur les oreilles, le tout surmonté par le casque, les hommes avancent lentement en glissades successives. Comme les anneaux articulés d’une énorme chenille, les sections se suivent.
Le vin est gelé dans nos bidons et le pain dans nos musettes est devenu dur comme pierre.
À Dombasle-sur-Meurthe, nous passons la Meurthe complètement figée, traversons Rosières-aux-Salines, et à midi, halte pour la soupe.
Le pain est coupé à coups de hache et le vin dégelé sur des feux. D’énormes glaçons pendent des moustaches, ce qui ajoute au sinistre de ces visages à demi découverts.
Départ à 3 heures de l’après-midi et le soir nous atteignons Deuxville, terme de notre voyage.
Nous avons parcouru 28 km. par un froid de -18°, transpirant pendant la marche, grelottant pendant les haltes.
Vendredi 26 janvier. ━ La section occupe la grange d’une ferme au centre du village.
Je m’installe sur une meule de foin sous la toiture de tuiles. Enfoui sous l’herbe à odeur pénétrante, roulé dans la couverture, la capote et la toile de tente sur le corps, la tête bandée par un cache-nez, j’essaie de me défendre du froid terriblement agressif qui tombe de la toiture. Dans les rues, sur la place, des feux brûlent en permanence. On y rôtit une partie du corps pendant que le reste est à demi gelé.
Samedi 27 janvier. ━ Le froid devient insupportable.
La neige a cessé de tomber et le thermomètre est descendu à - 24°. On a évacué les granges qui sont intenables et les hommes font cercle autour de chaque feu. La chaleur ratatine les souliers avant d’atteindre les pieds. Les corvées de soupe cassent le vin dans les percots et scient le pain sur des planches.
Des escadrilles boches passent dans le coton gris et vont bombarder Saint-Nicolas-de-Port, le soir on annonce, 3 permissionnaires, 1 gendarme et 3 civils tués.
Le soir je quitte le feu public et m’installe dans mon foin. Très vite une douleur aiguë gagne mon côté gauche.