LDE carnet de route p.7 1917
Les officiers du D. D. sont tous d’anciens blessés. Ils doivent le rejoindre comme tous les soldats évacués, après leur guérison.
Le commandant de notre Compagnie est le lieutenant Laloie, brave homme, à la figure poupine. Il est assisté du sous-lieutenant Kadrul ; notre sergent est mon camarade Massiot, Bordelais qui vient comme moi du 107e R. I. Il nous a quitté à la caserne d’Angoulême pour suivre les cours d’élève aspirant. Il en est revenu sergent.
Le sergent Thibault qui a déjà fait la guerre bénéficie de ce poste comme père de 3 enfants. Ce sergent nous mène la vie de caserne, avec sa discipline rigide et une sévérité inflexible. Il est très dur, surtout pour nous les jeunes. Il reste instructeur au D. D.
Mes camarades de la section sont presque tous des poilus évacués pour blessures, pour la plupart des Parisiens, des Picards et des Bretons.
Le 128e R. I. est un régiment de la Somme. Il tenait garnison à Abbeville et à Amiens. Autrefois un bataillon était à Paris. Depuis l’invasion le dépôt a été évacué sur Landerneau (Finistères). Il recrute donc des Bretons en plus des Picards et des Parisiens. Ce régiment appartient à la 3e Division du Corps d’Armée. Cette Division est composée par :
le 128e R. I. : Abbeville
le 87e R. I. : Saint-Quentin
le 272e R. I. : Amiens
le 51e R. I. : Beauvais
La 4e Division forme avec la nôtre le 2e Corps d’Armée.
Le 128 et le 272 constituent la 5e Brigade.
Général de Division : Nayral de Bourgon. Général de Brigade : Nereile.
À l’escouade mon caporal est un ancien cavalier d’un régiment de dragons, versé dans l’infanterie par mesure disciplinaire. Le caporal Caron est un excellent garçon, un peu rouspéteur, caractère irascible. C’est un Picard.
À l’escouade : Le Scraigne, Le Strate, Croizier et Contant. Avec les exercices, les évenements de la journée se passent au bistrot, après la soupe.
Il y a un seul, mais important bistrot à Maron. Les patrons de l’établissement sont pour nous les plus grands personnages de la localité. Ils nous servent à boire une excellente bière, du vin à 0 fr. 80 le litre dans une salle bien chauffée.
Tous les soirs, le café connaît une affluence considérable. On court pour y prendre les meilleurs places, près du poêle ou de la caissière ; c’est le casino du poilu. On chante, on crie, on hurle. Des chanteurs improvisés sortent chaque soir les mêmes répertoires. Ça paraît toujours nouveau, et chaque fois en chœur nous reprenons les mêmes refrains.
Un puissant ténor, debout sur une chaise, chante avec un sérieux professionnel :
Soldat, courageux,
Soldat, téméraire,
Sous les blancs rayons de la lune claire,
A quoi rêves-tu ?
Et tous avec un ensemble grandiose nous reprenons en chœur :
Je pense aux bidons remplis de pinard,
Je pense au salaud qui m’a fauché mon quart,
A celui qui boit ma gnole sans plus d’amertumes,
Au claire de la lune.
Un autre attaque avec un élan frénétique le chant du pinard et nous reprenons comme un tonnerre :
Le pinard c’est de la vinasse,
Ça réchauffe par où que ça passe.
Vas-y, Bidasse, remplis mon quart,
Vive le pinard ! Vive le pinard !