LDE carnet de route p.5

  • 15 octobre 2014

A la lueur d’une bougie, des groupes de permissionnaires ont joué aux cartes toute la nuit en buvant à pleins bidons le pinard de chez eux. Le froid m’a réveillé avant le jour et après un coup de jus à la cantine, nous prenons un train pour Amiens. Sur les quais, un baril de vin et un énorme fromage de gruyère large comme une roue de wagon, sont enlevés, hissés, et disparaissent dans un compartiment.
J’ai pu déjeuner à Amiens dans un bistrot près de la gare pour 45 sous. Cependant le vin est ici à 2 francs le litre. Le civil exagère.
La cathédrale garantie contre les bombardementsVisite de la ville et de sa splendide cathédrale. Les portiques monumentaux sont protégés par les murailles de sacs à terre. Dans les rues d’innombrables soldats anglais.
L’après-midi, les renseignements nous signalent la présence de la D. I. à Thésis, petite ville au sud-est d’Amiens.
À 6 heures du soir, sommes à Thésis.
Pas trace de la D. I., seul le 272e R. I. s’y trouve. Le colonel de ce régiment nous signe nos permissions ; nous marquons notre volonté de retrouver nos régiments. Un poilu, errant comme nous, proteste ; il n’a plus d’argent et il a faim. On calme sa faim mais pas sa colère.

27 décembre. ━ Voici le troisième jour que je cours après mon régiment. À 4 heures du matin un train nous ramène à Amiens.

Ici nous ne trouvons aucun renseignement sur nos unité. Ce manège commence à devenir énervant et nos derniers sous disparaissent.
Avec quelques camarades je m’adresse à la charité de la Croix-Rouge de la gare. Nous y sommes reçus avec un empressement qui nous émeut. Déjeuner copieux, et les dames de la Croix-Rouge nous installent dans le salon de lecture jusqu’au soir. Le commissaire de gare nous a repérés et pour se débarrasser de nous, nous expédie par le premier train à Saint-Just-en-Chaussée.
On passe la nuit dans des baraques sordides et pouilleuses.

28 décembre. ━ Au réveil, les renseignements sont encore muets.

C’est à croire que la 3e Division d’Infanterie a disparu. Complètement désemparés, nous passons la journée à errer dans ce camp boueux où le va-et-vient permanent des foules de permissionnaires donne l’impression d’un immense champ de foire.

Je tire d’embarras trois tirailleurs algériens et un spahi de Bou-Saada (mon village natal). Ces pauvres bougres ignorent notre langue, ils se déplacent grâce a une fiche épinglée sur leur capote, a la manière de colis de marchandises.
Enfin ! Dans la matinée, un homme appelle les permissionnaires de la 3e D. I. On va nous informer.
À 11 heures, un train emporte tous les hommes du 2e Corps. Destination : Is-sur-Tille dans la Côte-d’Or.
À 4 heures du matin, le convoi passe au Bourget et file à, travers la Marne et l’Aube.
À chaque gare on assiste à des scènes burlesques. Des poilus énervés s’amusent au détriment du personnel des gares. À Troyes, les employés montent la garde auprès des marchandises deposées sur les quais. Coups de sifflets, hurlements, saisies de casquettes. Les chefs de gare ne paraissent plus. Le chant du chef de gare retentit à chaque départ.

30 décembre. ━ À 4 heures du matin, le train rentre dans la gare de Langres.

On va nous diriger sur Toul où se trouverait la D. I. Au départ, scène pittoresque : le chef de gare poursuit un poilu qui lui a enlevé sa casquette. Le train s’ébranle sous des acclamations, tandis que la casquette sombre et dorée est agitée triomphalement à une portière.
Après Neufchâteau, Toul est atteint avant midi. Ici on ignore la 3° D. I.
Cette fois-ci c’en est trop. Des centaines d’hommes hurlent dans la gare. Tempêtes de cris, vociférations. Au bureau du commissaire la foule bleue horizon pénètre :
━ Est-ce qu’on se fout de nous ?
━ Qu’on nous renvoie chez nous si on a plus besoin de nous !
━ On la crève ! On n’a plus rien à becqueter !
Un poilu ne veut plus sortir du bureau :

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