LDE carnet de route p.3
Mon carnet de route
1916
Le 8 janvier 1916, je quittais La Réole, affecté au 107e Régiment d’Infanterie, Caserne Xaintraille, à Angoulême. Après cinq mois de caserne et deux mois au camp de Roumazières, un premier détachement de volontaires est constitué pour le front.
La bataille de Verdun est terminée ; elle a saigné profondément l’Armée Française et la classe 17 après la classe 16 qui nous a précédé, amène de nouveaux renforts.
28 juillet 1916. ━ Jour du départ.
Nous sommes consignés. Devant la caserne, des sentinelles baïonnettes aux canons gardent les issues. Après les douches, le commandant du dépôt nous passe en revue ; quelques mots enflammés nous raidissent sous les armes, et à 6 heures du soir, le renfort équipé à neuf, franchit les grilles au pas cadencé.
Minutes émouvantes. La population nous salue de ses acclamations. Les clairons en tête ouvrent le défilé.
À 7 h. 1/4, un train, partiellement occupé par des camarades de Bordeaux, nous enlève.
Le courage est dans nos cœurs.
À Poitiers, les renforts du 114e R. I. et 108e R. I. se joignent à nous. Malgré l’heure avancée, la population est présente pour saluer les jeunes poilus. Distribution de thé et de café chaud. Sous les voûtes vitrées, les clairons sonnent « Aux Champs » sous une tempête d’acclamations.
Je suis dans un compartiment avec Delignac, Galet, Chomard, Donadieu et Disdé : Girondins et Charentais.
1 h. 1/2 du matin, à Tours, mêmes scènes.
Des camarades du 106e R. I. et du 6e R. G. montent, et à Orléans le convoi est complet.
Dans la journée du 29, le train contourne Paris, par Juvisy.
Pour la seconde fois, la nuit descend dans nos compartiments ; la fatigue a vaincu les plus agités et le sommeil l’emporte sur la curiosité.
Subitement le train s’est arrêté, des cris nous réveillent. On est arrivé. Péniblement les jeunes soldats se traînent sur le quai où les sous-officiers rassemblent les sections, cependant qu’à l’horizon une légère clarté apparaît. Pas de village, une petite gare. Je lis : « Chaumont-en-Vexin ».
Nous serions au Nord-Ouest de Paris, dans l’ Oise.
Colonne par quatre, la troupe s’étire sur une route. Marche lente et silencieuse. Il y a un peu d’émotion en chacun de nous.
Où nous mène-t-on ? Le front est-il loin ? Un bruit sourd sonorise l’horizon nord. Ce premier bruit de guerre nous émeut. Dans l’ombre, nous serrons les rangs.
À gauche, à droite, les champs paraissent ravinés, bouleversés. Sommes-nous déjà en plein champ de bataille ? Nos regards obliques décèlent des formes imprécises, silhouettes impressionnantes qui se profilent sur le bas-côté de la route.
Une odeur lourde monte des fossés, instinctivement nous accélérons le pas avec émotion.
Pourquoi, sans ménagement, nous jeter ainsi en plein champ de bataille ?
À 4 heures du matin, la colonne atteint un village. Personne. Pas âme qui vive.