LDE carnet de route p.16 1917
━ Hé ! le mec de la régulière ! où que tu vas ?
━ À Germigny.
━ Tends un peu. On va faire route ensemble.
C’est un joyeux du 3e Bataillon d’Afrique, équipement complet qui rejoint son unité.
La nuit est chaude ; d’une crête on aperçoit les fusées qui s’élèvent vacillantes. À nos pieds une vallée sillonnée d’éclairs.
Nous avançons a deux sans parler, la tête vide. Ces retours de permissions sont toujours pénibles. Voici un carrefour. Le poteau indicateur est indéchiffrable. Quelle direction prendre ? D’une maison une petite lueur perce les ténèbres.
━ Y’a un mec, ça colle, me dit le Joyeux.
━ Hé Vieux ! où c’est y Germigny ? Y a cor loin ?
Une ombre s’avance. Une grenade blanche sur un casque. C’est un gendarme.
━ Qui êtes-vous ?
━ Ça va, riposte le Joyeux, subitement énervé, à la vue du gendarme, dis-nous où perche Germigny et fou-nous la paix !
Pour éviter du grabuge j’ajoute : « permissionnaire », et le gendarme sans insister nous indique la direction à prendre.
Aux premières maisons le bat’ d’af. me quitte et à tâtons, je pousse une porte, j’appelle et m’écroule de fatigue sur la poussière végétale.
Jeudi 24 mai 1917. ━ Vers les lignes.
━ À quelle compagnie veux-tu être affecté ?
À cette question du lieutenant Thiesse, officier des détails, je me tourne vers un ancien.
━ Demande la 2e, on y bouffe bien.
━ La deuxième, mon lieutenant.
Bien. Désalbres, matricule 10477, recrutement de Libourne, classe 1917 affecté à la 2e Compagnie, dicte le lieutenant Thiesse au sergent-secrétaire.
Suivent d’anciens blessés, de jeunes recrues, des récupérés.
La fournée du dernier train de permissionnaires et des renforts va monter ce soir en ligne.
Pour combler les vides tout le D. D. y est passé durant mon absence.
À Prouilly, centre du train de combat, au milieu d’un mouvement ininterrompu de voitures régimentaires, de fourgons, de fourragères, de prolonges d’artillerie, les renforts de la D. I. sont réunis pour y recevoir l’équipement neuf du fantassin.
Au centre d’une clairière, sur le gazon dune prairie, la distribution se poursuit dans un vacarme de champ de foire ; sacs, musettes, bidons, fusils, cartouches, bretelles de cuir, etc. sont ramassés au choix par chacun des intéressés.
Les connaisseurs s’arrachent les dernières créations de l’équipement militaire : bidon d’aluminium, fusil à chargeur.
Voici les vivres de réserve, ici on reçoit exactement sa part : chocolat, biscuits, singe. C’est ensuite au tour des chemises, chaussettes, toiles de tente, couverture le tout en un rien de temps est empaqueté sur le sac, et fusil à la bretelle on est prêt.
Les lieutenants Kadrule et Barcelot sont du même renfort. Ils rassemblent les 7 hommes qui rejoindront ce soir le 1er bataillon du 128e R. I.
À 3 heures de l’après-midi, la petite troupe quitte le camp. À travers des vallons touffus, des collines couronnées de bocqueteaux, elle avance lentement comme s’agissait d’une excursion. Il suffit d’atteindre Hermonville avant le départ du ravitaillement pour les lignes. Au sommet d’une crête nous atteignons la ferme Saint-Joseph dont les bâtiments en ruines s’élèvent entre d’énormes entonnoirs.
━ Passons en vitesse ! ordonne le lieutenant Kadrule. Le sentier rocailleux et raide la petite colonne vient mourir sur le sommet chauve et crevassé. La terre de champagne meurtrie offre au soleil ses blessures de craie. Un homme s’est détaché du groupe et s’élance vers les ruines. Je le suis d’un pas rapide. Au sommet un panorama magnifique s’offre à nos yeux.
La plaine, toute la plaine de Berry-au-Bac à Reims s’étend devant nous sous un ciel lumineux.