LDE carnet de route p.13 1917
Voici Châtillon-sur-Marne. La statue immense du pape Urbain II regarde défiler ces légions de France qui vont refouler le Barbare.
À 5 heures du soir, nous sommes à Villers-Agron. On s’installe dans des baraques Adrian.
Le front est à 30 km. Secteur de Fismes.
Le bombardement est de plus en plus violent.
Vendredi, samedi et dimanche, nous ne bougeons pas. On attend des ordres.
Pendant ces 3 jours, l’artillerie a mené un terrifiant concert. Nos baraques vibrent sans arrêt comme secouées par un tremblement de terre permanent.
Le dimanche, le bombardement atteint son paroxysme. Il est impossible de se faire entendre sans crier et nous sommes à 30 km. du front.
À chaque rapport on nous lit des ordres du jour nous conviant à faire tout notre devoir et à accepter avec courage tous les sacrifices qui nous serons demandés. Je crois que le courage ne manquera chez aucun de nous.
Lundi 16 avril. ━ À 10 heures, la canonnade cesse brusquement.
Le grand drame est commencé.
Le gigantesque assaut est donné par l’Armée Mangin, infanterie, coloniaux, zouaves, tirailleurs, légion sont entrés dans la mêlée.
Jusqu’au soir, le silence règne. Aucune nouvelle. Vers 5 heures, tirs de barrage ; on raconte que nous aurions fait 12.000 prisonniers.
Mardi 17 avril. ━ Le bombardement reprend avec la même violence que les jours précédents.
Que se passe-t-il ? Pourquoi n’avance-t-on pas ? La percée devait se faire le premier jour et il semble que la bataille piétine. Mille bruits courent dans les unités. Pour certains, c’est un échec. Pour d’autres une victoire. Nos pertes seraient considérables. L’offensive serait tombée sur des préparatifs d’attaque et nos vagues d’assauts se seraient brisées sur une défense avertie.
Mercredi 18 avril. ━ Nous ne bougeons toujours pas, il y a donc un échec.
Voici le 3e Corps qui descend sans avoir attaqué. L’offensive a été stoppée.
Désappointement et découragement nous gagnent. On en vient à douter du succès final ; les pessimistes triomphent. À l’enthousiasme des jours précédents succède la lassitude. C’est l’échelle du moral français.
Par moments le bombardement reprend comme un tonnerre.
Jeudi 19 avril. ━ On ne sait toujours rien.
Les troupes qui redescendent n’en savent guère plus que nous.
Le bombardement égale en puissance ceux des jours précédents.
La terre tremble, les baraques vibrent comme s’il s’agissait d’un séisme.
Le soir c’est le calme, la nuit le déchaînement.
Vendredi 20 avril. ━ On parle de 17.000 prisonniers, mais encore rien sur l’offensive.
Le beau temps est revenu.
Samedi 21 avril. ━ On a l’impression que l’offensive s’étouffe dans des luttes locales d’infanterie.
On parle de 19 000 prisonniers, mais vraisemblablement la bataille s’est épuisée dans le sang.
Quittons brusquement Villers-Agron. Le D. D. se porte vers l’est et occupe le village de Germigny, à quelques kilomètres à l’ouest de Reims.
À 15 km. vers le nord on discerne la ligne du front par la traînée de fumée qui barre la plaine d’ouest à l’est.
Près du village, des canons ALGP lancent périodiquement leurs énormes obus. Sur la droite de la crête qui nous domine, on peut voir les deux tours sombres de la cathédrale de Reims. On distingue l’éclatement des obus, dont la fumée couronne la masse du monument gothique.
Trop petit, le village n’a pu abriter tout le D. D. Notre escouade a dressé ses tentes sur les premières pentes du coteau et nous nous endormons, bercés par le bourdonnement de la canonnade.