LDE carnet de route p.11 1917
Après Villey-le-Sec, la Compagnie traverse la défense du camp retranché de Toul. Cantonnements à Gye.
Lundi 12 mars. ━ Durant la nuit, nous avons tous été pris de violentes coliques, je n’ai pas été épargné par le fléau.
On a dû nous donner du rata aigre. Cela n’arrête pas notre marche et c’est sur des jambes molles que nous arrivons à Blénod-les-Toul.
Le D. D. s’installe ici. Pour combien de jours ? Nul ne le sait.
Blénod-les-Toul est un village de 1.500 âmes accroché aux flancs des côtes de la Meuse. Le 117e R. Ter. l’occupe et le quartier général de la D. I. s’y installe.
Ici, comme à Maron, les jours se passent en exercices et manœuvres sur les crêtes boisées qui dominent le village. Toute la D. I. se livre à d’importantes manœuvres qui laissent présager une offensive pour le printemps prochain.
Je fais un stage de signaleur avec mon inséparable Coutant. À l’aide de panneaux blancs, je transmets en morse des messages que me passe un officier. Du coteau on découvre tout le plateau boisé qui s’étend de la Moselle jusqu’à nous.
Dimanche 18 mars. ━ Match de football entre le D. D. et le 3e Génie 2 à 2.
Nouvelles de la Révolution russe. On en espère mieux. Le régime tsariste était en pleine décomposition et la cour infestée d’Allemands.
Mardi 20 mars. ━ L’ennemi a évacué l’Oise que réoccupent nos troupes en liaison avec les Anglais.
Cet événement fait passer un souffle d’optimisme sur l’armée. Il faut dire que depuis les 2 batailles gigantesques de Verdun et de la Somme le moral du soldat était assez éprouvé. Le soldat qui se bat n’est pas un être stupide, il comprend que de nombreux combats sont engagés inutilement ou pour des résultats qui ne valent pas la peau d’un seul homme.
Vendredi 23 mars. ━ Ordre d’embarquer pour dimanche.
La classe 17 va rejoindre les unités de combats.
Samedi 24 mars. ━ Le premier renfort de ma classe a rejoint le régiment qui se trouve dans les environs.
Mon tour ne tardera pas. Massiot, sergent de ma classe, est évidemment parti. Il a été affecté à la 2e Compagnie.
Dimanche 25 mars. ━ Contre-ordre.
On ne partira que jeudi. On est un peu désappointé. On n’aime pas le contre-ordre. Avec les beaux jours l’optimisme revient, surtout devant la perspective d’une grande offensive décisive.
Suis envahi par des furoncles. À la visite on m’exempte de service.
Jeudi 29 mars. ━ Préparatifs de depart.
Mon escouade est composée par des jeunes. L’esprit frondeur du collégien y règne. Le caporal Caron, ancien cavalier, tente mais en vain de maintenir l’ordre. La compagnie est célèbre pour sa mauvaise cuisine. Chaque repas est prétexte de scènes agitées et comiques. Nous ne mangeons que du rata et de la viande qui s’étire comme du caoutchouc.
Nous ramassons du pissenlit dans les prairies, ce qui nous procure un plat d’herbe abondant et sain.
À l’escouade nous arrive un nouveau. C’est un caporal, nommé Barcelot, ancien sergent cassé qui ne tardera pas à reprendre ses galons perdus.
À 6 h. 30 du soir, sous une pluie permanente, la Compagnie se dirige vers la gare d’embarquement.
Dans une nuit d’encre et sur un terrain boueux les sections s’alignent face aux wagons. Par une heureuse chance le seul wagon de voyageur stationne devant notre section.
La pluie tombe toujours droite et glacée. Posons nos sacs à terre et attendons l’ordre d’embarquer.
Le temps passe, les heures s’écoulent et l’ordre ne vient pas. En troupeau parqué et docile, les soldats piétinent dans l’eau qui monte.
Il est 11 heures, la nuit est saturée d’eau, nos capotes s’alourdissent et ruissellent, la boue monte toujours.